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#3. Critiquer le cogito de Descartes

  • Photo du rédacteur: Jean-François Caron
    Jean-François Caron
  • 12 juin 2024
  • 6 min de lecture

Dernière mise à jour : 20 juin 2024


Script du podcast


Bonjour et bienvenue « Autour des livres ». Je vous propose dans cet épisode une réflexion autour du cogito de Descartes, plus communément connu selon la formule : « Je pense donc je suis ». René Descartes est un philosophe français du XVIIème siècle à qui l’on reconnaît volontiers d’avoir révolutionné l’histoire de la pensée en ouvrant la voie à la philosophie moderne. Décidé à remettre en question les fondements de la connaissance de son époque, Descartes applique une méthode radicale en doutant de tout pour atteindre une vérité incontestable à partir de laquelle il sera possible ensuite, en employant la raison, de repenser le monde. Il en arrive à la conclusion suivante : la seule chose dont je ne peux pas douter, c’est que je suis en train de douter. Il existe ainsi une pensée qui, quel que soit les conditions, est capable de douter, et donc avec elle un « je » qui la supporte car pour douter, donc penser, il faut bien que j’existe. « Je pense donc je suis ». Ou encore Descartes nous dit, dans son livre intitulé Discours de la méthode, je le cite : « Je connus de là que j’étais une substance dont toute l’essence ou la nature n’est que de penser, et qui pour être n’a besoin d’aucun lieu ni ne dépend d’aucune chose matérielle. » Descartes considère ainsi que la pensée qui prouve que j’existe est de nature métaphysique, c’est-à-dire se trouvant en dehors du monde physique. Ainsi, selon lui, pour accéder à ce qui est vrai, on ne peut qu’emprunter un chemin dont le point de départ est métaphysique.


Le cogito de Descartes n’a pas qu’une portée épistémologique. Il s’inscrit dans une tradition philosophique dont l’idée centrale tient à la séparation de l’esprit et du corps. L’homme serait la combinaison de deux substances distinctes l’une de l’autre, l’esprit d’une part, le corps de l’autre, le premier de nature métaphysique, le second d’ordre physique. Le cogito de Descartes contribue ainsi au débat séculaire sur leur association et leur indépendance et que l’on peut résumer ainsi : l’esprit commande-t-il le corps ou est-ce le corps qui détermine l’esprit, et sont-ils totalement séparables pour considérer que l’esprit ne périsse pas avec le corps une fois la mort venue ? S’appuyant sur le cogito de Descartes, je pense donc je suis, ne peut-on pas envisager que l’esprit en précédant le corps ne lui est pas soumis quant à sa fin ? Certains auteurs s’y refusent, allant jusqu’à remettre en cause le cogito de Descartes. Nietzsche est l’un d’eux, lequel nous dit dans son œuvre Par-delà le bien et le mal, je le cite : « Quelque chose pense mais que ce quelque chose soit justement l’antique et fameux « Je », ce n’est à tout le moins qu’une supposition, qu’une allégation, ce n’est surtout pas une certitude immédiate ». Autrement dit, je pense certes, mais cela en rien ne prouve que la pensée soit une substance à part entière et totalement indépendante du corps. Au contraire selon Nietzsche, la pensée est un effet du corps. Le corps selon lui précède l’esprit, et non l’inverse comme le laisse à penser le cogito de Descartes. Nietzsche est reconnu dans l’histoire des idées comme le philosophe au marteau, celui dont la pensée est radicale en brûlant toutes les idoles, qu’elles soient religieuses, idéologiques ou politiques. Mais aussi s’attaque-t-il aux thèses qu’ils estiment illusoires en plaçant l’homme au centre de tout. Le cogito de Descartes selon lui en fait partie. Pour que la pensée puisse exister, il faut un support, le corps. En revanche, le corps n’a pas besoin de la pensée pour être au monde. Il arrive parfois, malheureusement, que le corps soit maintenu en vie sans qu’il n’y ait plus d’activité cérébrale. En outre, notre pensée est influencée par notre état corporel. Que je sois fatigué physiquement, que je sois malade, ou alors en pleine forme, je pense différemment. De là à considérer que c’est la matière qui pense et rien d’autre, qu’il nous est possible de penser que nous existons grâce au cerveau et seulement grâce à lui, il n’y a qu’un pas que franchissent les matérialistes.

 

Au XXème siècle, la phénoménologie, courant philosophique consistant à interpréter le monde à partir des seuls phénomènes perçus, sans considération idéaliste, revisite la question de la conscience. L’idée centrale développée par Bertrand Husserl, son fondateur, est la suivante : la conscience est toujours conscience de quelque chose. Elle n’existe pas en soi, indépendamment de tout sujet ou d’objet avec lequel elle est en relation. La conscience n’existe qu’en se projetant vers ce qui lui est extérieur. Le fait même de dire que j’ai une conscience, ou même que je suis une conscience pour reprendre l’idée du cogito de Descartes, est une opération de la pensée s’inscrivant dans une relation. Jean-Paul Sartre le dit bien mieux dans le tome 1 de son libre intitulé Situations, je le cite : « La conscience n’a pas de dedans, elle n’est que le dehors d’elle-même et c’est cette fuite absolue, ce refus d’être substance qui la constitue comme une conscience. » La conscience finalement serait un mouvement et non une substance comme le propose Descartes. Je pense parce que je suis en situation, en relation, et non parce que je suis. Par exemple, une fois endormi et à défaut de rêver, je ne pense pas, pourtant je n’en existe pas moins, et ainsi me voici debout le lendemain matin.

Avec la phénoménologie, la conscience étant toujours conscience de quelque chose, impossible de le lui prêter une indépendance absolue comme supposé avec le cogito de Descartes. En outre, peut-on envisager que l’on existe sans les autres ? Lorsque Descartes affirme que je pense donc je suis, il ne parle qu’à la première personne, et ainsi l’on peut très bien estimer être seul au monde. Qui ne dit pas en effet qu’autrui n’est qu’une représentation de mon esprit, que je pense exister parmi les autres alors qu’il n’y a qu’une seule et unique réalité, c’est-à-dire la mienne. Il existe d’ailleurs une théorie, solipsisme, qui pousse à l’extrême le cogito de Descartes. Je ne peux être certain d’exister qu’en tant que sujet pensant, tout ce qui m’entoure n’étant que représentation. Là-aussi, Sartre s’y oppose en développant le concept d’intersubjectivité. Dans L’existentialisme est un humanisme, il nous dit, je le cite : « La subjectivité que nous atteignons là à titre de vérité n’est pas une subjectivité rigoureusement individuelle, car nous avons démontré que dans le cogito, on ne se découvrait pas seulement soi-même, mais aussi les autres. Par le je pense, contrairement à la philosophie de Descartes, contrairement à la philosophie de Kant, nous nous atteignons nous-mêmes en face de l’autre, et l’autre est aussi certain pour nous que nous-mêmes. Ainsi, l’homme qui s’atteint directement par le cogito découvre aussi tous les autres, et il les découvre comme la condition de son existence. » La critique de Sartre à propos du cogito est directe. Je ne peux pas penser que j’existe en tant qu’unique sujet pensant. Le sujet existe parce qu’il est en relation avec autrui. Le « tu » précède le « je ». Je suis car tu es là, moins parce que je pense. Autrui n’est pas extérieur au sujet, il en fait partie. Absolument seul, je ne peux pas être un sujet, tout au plus un objet.

 

Le cogito confère à la pensée une puissance sans égale car selon Descartes, c’est avec elle que nous pouvons être certain d’exister. C’est ainsi que le philosophe français accorde un statut unique à l’homme au sein du monde en tant qu’être pensant et conscient de lui-même. Ce statut l’autorise selon Descartes à devenir comme maître et possesseur de la nature. On peut dire qu’il aura été entendu en constatant l’emprise que l’homme a aujourd’hui sur la nature et le monde qui l’entoure, jusqu’à désormais être capable de le détruire instantanément, ou de l’épuiser à petit-feu. Il est certain que Descartes a joué un rôle fondateur dans le progrès scientifique et technologique depuis le XVIIème siècle, en donnant à la science des bases méthodiques pour progresser. Cette forme de toute puissance que reconnaît Descartes à l’esprit humain a été contredite par un autre penseur illustre, Freud en l’occurrence, qui provoqua une révolution conceptuelle, et également pratique, au sujet de l’homme et de son rapport à lui-même. En effet, Sigmund Freud, médecin autrichien, fonda à la fin du XIXème siècle la psychanalyse, soit une médecine de l’esprit visant à accéder à ce qui nous gouverne au plus profond de nous. Avant lui, Schopenhauer et Nietzsche avait exploré les tréfonds de l’âme humaine et concluaient que nos passions tiennent le gouvernail de notre existence, bien plus que la raison. Freud est celui qui sut donner un nom à cet antagonisme entre le corps et l’esprit, soit l’inconscient. Selon lui, comme pour d’autres, existe en nous une force obscure qui nous dépasse et dont nous n’avons pas conscience. Tout le travail psychanalytique consiste à accéder à cette force pour comprendre la façon dont elle nous anime et ses effets sur notre conscience. Selon Freud, sans psychanalyse, notre conduite nous échappe car nous n’en sommes pas maître. Avec l’inconscient freudien, le « je » du cogito tombe de son piédestal pour laisser place au « ça ». Il s’agit ici moins d’une critique du cogito de Descartes que d’un renversement, en en remplaçant le « je pense donc je suis » par « ça pense, et donc je suis ». Freud, comme Nietzsche avant lui, ébranle le cogito cartésien et avec lui la possibilité du libre-arbitre.  

 

Je vous remercie de votre attention. J’espère vous avoir apporté matière à penser. N’hésitez pas à me laisser un commentaire à la suite de ce podcast. J’aurais plaisir à vous répondre, et peut-être continuerons-nous la réflexion ensemble autour des livres. 


Podcast Autour des livres

Jean-François Caron

Le 12 juin 2024

 
 
 

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