#1. Être ou ne pas être épicurien
- Jean-François Caron
- 9 juin 2024
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 13 juin 2024
Script du podcast
Bonjour et bienvenue « Autour des livres ». L’objectif de ce podcast est de vous présenter des idées clés sur divers sujets, à partir de ce qu’on écrit nombre d’auteurs, et vous permettre ainsi, je l’espère, de trouver matière à penser. Je vous propose ainsi d’écouter le tout premier épisode de ce podcast consacré aux livres et à la pensée, avec comme auteur de référence Épicure. J’ai volontairement choisi ce philosophe car même si sa pensée est très profonde il nous a laissé que très peu d’écrits de sa main. C’est surtout grâce à l’un de ses illustres disciples, le poète Lucrèce, que sa pensée est arrivée jusqu’à nous. Être ou ne pas être épicurien, tel est donc le sujet de réflexion que je vous propose. On pense communément qu’être épicurien, c’est s’adonner au plaisir sans guère de retenue, profiter de la vie, goûter à ses joies comme si celles-ci étaient à cueillir, répondre à ses envies, disposer de tout ce qui peut faire du bien. En se représentant ainsi la pensée d’Épicure, il est tentant de chercher à s’affirmer comme épicurien. Le contraire serait plutôt étonnant. En effet, le plaisir que l’on associé aisément avec le fait d’être épicurien est une satisfaction agréable du désir. Je me sens bien lorsque m’accordant avec mon désir, je le transforme en une sensation qui me plaît. Je ne boude pas mon plaisir dit-on lorsque par exemple je m’offre quelques mets que je trouve délicieux parce que je les ai désirés et que leur saveur une fois dégustés est celle que j’attendais. Le plaisir ainsi serait comme une correspondance entre mon désir et ce qu’il en résulte une fois satisfait. Dès lors, être épicurien ou chercher à l’être consisterait à trouver cette correspondance entre désir et plaisir, et je me sens bien une fois qu’elle est effective. Toutefois, l’affaire n’est peut-être pas si simple. Il est des plaisirs sans désir qui les précède, ou alors des désirs qui même satisfaits ne conduisent pas au plaisir. Je peux très bien ressentir du plaisir sans même avoir désiré ce qui me plaît. C’est ce qu’on peut désigner comme une bonne surprise. Le plaisir d’ailleurs n’est-il pas d’autant plus fort quand il est inattendu, sans désir pour l’annoncer. Cela peut-être un sourire au coin d’une rue, que l’on croise sans l’avoir ni cherché ni même pensé, et qui pourtant nous plaît tant jusqu’à ce que nous en soyons troublés. Ce peut être aussi quelques mots lus au hasard d’une page, sans annonce particulière, et qui nous bouleversent.
Plaisir sans désir donc, ce que l’on peut finalement espérer, moins en revanche un désir qui résiste au plaisir. Je peux ainsi désirer la plus belle qui soit, et donc vivre en conséquence, et pourtant mon existence n’a rien de plaisante, ni d’agréable. Il est également possible d’obtenir une chose que je désire sans y éprouver de plaisir car de suite une autre chose m’attire. Je passe ainsi d’un désir à un autre sans plaisir. Enfin, je désire et me satisfait à n’en plus finir, et alors le plaisir déborde pour devenir un trop plein qui m’étouffe. Finalement n'est-il pas trop risqué que d’être épicurien ?
On peut tout à fait émettre une objection à ce qui vient d’être dit en considérant qu’être épicurien, c’est avant tout faire sienne la philosophie d’Épicure en l’appliquant quotidiennement, pour en faire une règle de vie. Je rappellerai qu’Épicure est un philosophe grec qui vécut entre le IVème et le IIIème siècle avant notre ère. Il fonda l’une des plus grandes écoles de son époque, l’épicurisme, dont l’enseignement traversa et traverse encore l’histoire de la pensée. Ainsi, en considérant qu’être épicurien, c’est adopter pour principes de son existence ce que préconise Épicure, autant dire que nous sommes bien loin d’une quête sans fin du plaisir. En effet, Épicure recommande d’accorder la plus haute importance au besoin pour ne pas s’en remettre exclusivement au désir et ainsi évite-t-on de s’enchaîner au plaisir. L’épicurisme place en son centre l’ataraxie, c’est-à-dire la tranquillité de l’âme comme condition à la vie bonne. Selon le philosophe grec, seule la maîtrise de nos besoins autorise cette quiétude en visant une eau calme au lieu d’une mer déchaînée. Épicure pour nous aider à atteindre cet objectif détermine une typologie des besoins nous animant afin de mieux les analyser, donc les contrôler. Il distingue ainsi trois catégories de besoins : ceux naturels et nécessaires ; les besoins naturels et qui ne sont pas nécessaires ; et enfin, les besoins ni natures, ni nécessaires. Ainsi, la satisfaction des premiers est impérative car il en va de notre maintien en vie. Il s’agit par exemple de se nourrir quand la faim nous tenaille. Nous sommes donc dépendants physiquement de ce type de besoins, ce qui n’est pas le cas de deux autres catégories. Je dépends des besoins naturels mais non nécessaires si je ne les maîtrise pas, en m’abandonnant au plaisir qu’ils sont censés me procurer, comme lorsque je me nourris non pas par faim, mais par goût. Quant à la troisième catégorie qui ne renvoie à rien de naturel ni de nécessaire, elle concerne des plaisirs qui se sont transformés en besoins. Le rapport entre le besoin et le plaisir s’y trouve inversé. Je n’éprouve plus de plaisir lorsque je réponds à un besoin ; c’est le plaisir que j’imagine qui crée le besoin. Et comme l’imagination est sans borne, le plaisir a dès lors tout pouvoir pour nous commander de satisfaire des besoins toujours plus artificiels, voire superficiels. Il n’y a dans ce cas guère de place pour la liberté.
Est-il donc conseillé d’être épicurien, en préférant l’ataraxie à une existence mouvementée ? Ou alors trouve-t-on dans une quête sans sin du plaisir comme une réponse, un pied-de-nez peut-être, à notre finitude ? A chacun de se décider, à la condition de ne pas confondre besoin, désir et plaisir. A défaut, les rapports s’inversent entre le besoin et le plaisir, avec au milieu un désir qui ne nous appartient plus. Ce que nous enseigne Épicure, c’est être lucide pour penser nos besoins afin d’y déceler peut-être des plaisirs dont la satisfaction ne nous correspond pas, nous éloigne de nous -même. En définitive, Épicure nous enjoint d’analyser sans détour ce qui nous anime pour y distinguer ce qui est naturel et nécessaire de ce qui ne l’est pas, afin de chercher du plaisir à partir de ce qui est naturel sans être nécessaire, avec la précaution de pas se laisser séduire par ce qui est exclusivement artificiel.
Je vous remercie de votre attention. J’espère vous avoir apporté matière à penser. N’hésitez pas à me laisser un commentaire à la suite de ce podcast. J’aurais plaisir à vous répondre, et peut-être continuerons-nous la réflexion ensemble autour des livres.

Jean-François Caron
Le 9 juin 2024
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